Cartes du potentiel truffier des terres agricoles françaises
Lorsque l’on parle de truffe en France, le plus grand nombre imagine naturellement le Périgord, le Lot, le Vaucluse, le Gard, la Drôme… mais peu pensent à la Charente, la Touraine, le Berry, le Grand-Est… Or ces régions possèdent des sols calcaires souvent riches, avec un sous-sol crayeux représentant une bonne réserve en eau. En bref, des sols propices à la culture des truffes, et, entre autres, à la truffe noire Tuber melanosporum.
En 1889, Chatin répertoriait déjà les régions Centre-Ouest, Centre et Nord-Est de la France parmi les régions productrices de truffes, avec une distinction entre la truffe de Bourgogne (Centre, Nord-Est), et ailleurs, la truffe noire.
Mais cette distinction a-t-elle toujours lieu d’être ?
En effet, depuis plusieurs années, différentes études ont vu le jour, suggérant le rôle du changement climatique dans le déplacement vers le Nord de l’aire potentielle de production de la truffe noire (Büntgen et al. Nature Climate Change, 2012 ; Cejka et al. Scientific Reports 2020). Si ces études soulèvent plusieurs interrogations pouvant les remettre en cause sur certaines de leurs conclusions, il est pertinent de se demander quelles pourraient-être dans le futur les zones agricoles réellement propices à la culture des truffes, et plus particulièrement à la truffe noire.
Afin d’établir des cartes générales du potentiel truffier des terres agricoles, Pierre Bertramo a réalisé son stage d’Ingénieur Agronome avec la société WETRUF, en collaboration avec INRAE Grand-Est. L’objectif de notre travail était d’utiliser des banques de données d’analyses de sols en vue d’établir des cartes de potentiels truffiers en France. Pour cela, nous avons utilisé le Réseau de Mesures de la Qualité des Sols (RMQS ; https://www.gissol.fr/le-gis/programmes/rmqs-34), qui est un outil de surveillance des sols à long terme.
Au total, 2240 sites répartis de manière uniforme sur le territoire français, selon un maillage de 16 km², sont suivis (Figure 1A). Pour chaque point, différentes mesures sont réalisées : type de sol (agricole, forêt, rivière, zone urbaine…), végétation, caractéristiques physicochimiques et biologiques…
Parmi l’ensemble de ces points, nous avons sélectionné ceux provenant de terres agricoles situées à une altitude inférieure à 1000 m, ayant un pH supérieur à 7 et un taux de calcaire supérieur à 2%. Les roches mères constituées de marnes, de calcaires et de craies, ont également été prises en compte. Ainsi, un total de 381 points en France correspond à ces critères (Figure 1B), faisant apparaitre des régions attendues comme le Sud-Est et le Sud-Ouest de la France, mais également le quart Nord-Est.
Pour aller plus loin, nous avons calculé l’indice d’alcalinité (Mg+Ca)/CEC) proposé par Benoit Jaillard (Jaillard et al. Forest System 2014). En effet, d’après l’étude PyrTruf, ce rapport établit le potentiel truffier pour T. melanosporum selon une échelle comprise entre 80 et 400. Dans cette étude, l’alcalinité était aussi associée à la taille des agrégats. Malheureusement, nous n’avions pas la possibilité d’inclure cette mesure dans nos analyses. Cette approche considérant l’alcalinité, illustrée dans la figure 2, permet de confirmer que la trufficulture a un potentiel de développement dans la plupart des régions françaises. Suivant l’étude PyrTruf, si le rapport d’alcalinité est compris entre 120 et 220 il indique un sol ayant un très fort potentiel pour T. melanosporum. Seulement 28 points présentent une alcalinité indiquant un très fort potentiel, et si de nombreux points apparaissent logiquement dans les régions traditionnelles de production de T. melanosporum, le Grand-Est et le Nord de la France semblent également représenter de bons candidats potentiels pour la culture de cette espèce.
L’utilisation du Réseau de Mesures de la Qualité des Sols présente toutefois des biais liés au caractère systématique du maillage de 16 km², et entraine ainsi la disposition de points non choisis. Il y a donc des départements ou régions pour lesquels le potentiel est clairement sous-estimé. Nous pouvons prendre pour exemple la Corrèze, qui est un département trufficole mais pour lequel aucun point n’est identifié dans cette analyse. Il faut ainsi garder à l’esprit que cette étude n’est pas exhaustive et qu’en absence d’informations édaphiques plus complètes généralisées à l’échelle du territoire, cette base de données constitue toutefois un outil utile pour une approche générale. Elle permet ainsi de mettre en avant l’intérêt national de la trufficulture. D’autres critères primordiaux de diagnostic n’ont malheureusement pas pu être pris en compte, comme la profondeur de sol, la texture et la pierrosité. Cette étude ne se substitue donc en rien à une analyse fine de terrain.
La truffe noire, pour laquelle nous avons plus de références avec des parcours techniques mieux connus, peut maintenant raisonnablement être plantée si le site le permet dans la moitié Nord de la France. Nous pensons qu’il faut planter l’espèce de truffe (truffe noire, truffe de Bourgogne, truffe blanche d’Italie) et d’arbres les mieux adaptés au sol et à l’exposition, quelques soit la région, sans se mettre de barrières culturelles.
Dans tous les cas, en considérant l’évolution du climat, les types de sols, le sous-sol, la réserve utile… nous pensons que la trufficulture représente une réelle opportunité de diversification pour les agriculteurs, et ce, dans la plupart des régions françaises.
Les cartes ont été réalisées avec le logiciel QGIS en utilisant les banques de données Corine Land Cover (2012) pour l’occupation des sols et IGN pour les fonds de carte.
Cet article est paru et disponible dans le journal Le Trufficulteur n°122 – 1er trimestre 2023